samedi 8 décembre 2007

Les arts de la mémoire

Arts de la mémoire

Depuis au moins 2500 ans existe un art de la mémoire artificielle[1], basé sur la mise en scène d’images actives dans des lieux, imaginaires ou inspirés d’architectures préexistantes.  Cet art, lié à la rhétorique, et qui touche à des points fondamentaux de nos représentations du monde, a connu des hauts et des bas, des éclipses qui ont parfois duré plusieurs siècles. Les arts de la mémoire furent enseignés pendant des siècles dans les universités, comme constituant une partie de la rhétorique et de la dialectique. Il permettait à un orateur de mémoriser rapidement un sermon ou un discours.

 

Décrits dans l’Ad Herennium, un texte (à tort) attribué à Ciceron, la technique des artes memoriae s’adresse en priorité à l’orateur.  Afin de mémoriser son discours, celui-ci doit se représenter un bâtiment (de préférence un bâtiment qu’il connaît bien); il y choisit un certain nombre de lieux (Loci) précis, se succédant dans un ordre déterminé, et il place dans ces lieux des imagine agentes, des images qui sont exceptionnellement belles ou répugnantes, comiques ou ridicules : le choix de telles images tient à ce qu'elles frappent avec force et adhèrent ainsi à l'âme. L ‘orateur conçoit lui-même ces images et de façon à y associer des notions et des arguments de son discours.  Au moment où il prononce son discours, l’orateur n’a plus qu’à parcourir mentalement son bâtiment de mémoire pour retrouver chaque argument à sa juste place -ce qui explique que le choix et l’ordre des lieux sont essentiels : ils doivent rester fixes alors que les images confiées à chaque lieu peuvent (et doivent) changer en fonction des discours à tenir et, donc, des arguments à mémoriser.

 

D'après la légende, les arts de la mémoire auraient été inventés par Simonide (Poète grec né dans l’île de Céos (aujourd’hui Kéa) vers 556 av. J.-C., et mort à Syracuse en 467 av. J.-C.).  Simonide est un aède, l'un de ces poètes lyri­ques errants qui sèment dans la Grèce antique non seulement les parcelles d'une mémoire collective mais aussi des odes à de riches mécènes. C'est lors de l'une de ces prestations que se déroule l'anecdote fondatrice de la méthode dite des images et des lieux []

Mandé par Scopas, un noble de Thessalie, pour chanter sa louange, Simonide négocie sa rémunération et compose un panégyrique.  Le soir du banquet, on ne sait pourquoi, il dévie de son propos pour faire l’éloge de Castor et Pollux.  Scopas, vexé, ne lui payera que la moitié de la somme convenue, et lui propose d’aller réclamer le reste aux jumeaux.  Peu de temps après, Simonide est mandé hors de la maison par un messager se réclamant de deux jeunes hommes.  Simonide sort donc, mais ne trouve pas ses interlocuteurs;  alors qu’il allait regagner le lieu du repas, la salle s’écroule, ne laissant de survivants que lui-même.  Les secours arrivent et avec eux, les familles des victimes.  Celles-ci sont paniquées car les corps méconnaissables ne peuvent être identifiés.  Simonide, se souvenant de la configuration des lieux et des visages des convives, pourra seul nommer les cadavres, leur assurant un passage honorable vers l’au-delà (Montesse 2002)

Selon Alain Montesse (2002), il semble bien que, après une période de retrait, commencée au XVIIe siècle, nous soyons maintenant dans une période de retour des arts de la mémoire, sous la forme de ce qu’il est convenu d’appeler la « révolution » du « multimédia », ou des « nouvelles technologies de l’information et de la communication ».

[] les anciens stockaient leurs connaissances et manipulaient leur imaginaire par le biais d’ « imagines agentes » dans des architectures mentales; nous stockons et manipulons  les nôtres par le biais d’icônes dynamiques dans des architectures informatiques (p.5).

 

 



[1] La mémoire artificielle est présentée comme la mémoire « fabriquée »  avec les arts de la mémoire.

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