mardi 11 décembre 2007

Mon récit de pratique

Émergences

Le 22 décembre 2006, l’école où j’enseigne depuis 8 ans a été la proie des flammes.  Une collègue amie qui était encore sur place, à coudre des lutins, m’a tenue informée des événements à mesure qu’ils se déroulaient, par téléphone cellulaire.  Je pouvais donc « voir », avec ses descriptions, la toiture de l’école qui flambait.  Je pouvais présumer, grâce à ma mémoire des lieux, de quelle classe, quel bureau et quels documents étaient en train de disparaître.  J’imaginais tout cela d’autant plus facilement que j’avais déjà vécu un incendie à mon domicile où j’avais presque tout perdu.  Ma mémoire était sollicitée à maints égards.  Lorsque tout s’écroule, qu’il ne reste plus rien, il nous reste à associer des lieux avec des images, dans notre mémoire, pour se rappeler de ce qu’on a perdu.  Il nous faut construire un édifice en pensée, un palais de mémoire; « Aussi, pour exercer cette faculté du cerveau, doit-on, sur les conseils de Simonide, choisir en pensée des lieux distincts, se former des images des choses qu'on veut retenir, puis ranger ces images dans les divers lieux ».  Je pensais donc à tout ce que je perdrais dans l’incendie.  Dans ma classe, il y avait 15 ordinateurs, des caméras vidéo, des livres.  J’avais travaillé très fort pour obtenir les budgets nécessaires à l’achat d’équipement informatique.  Il y avait aussi mon précieux disque dur externe, ma mémoire professionnelle.  Je réalisais que j’avais déposé sur ce disque des années de projets, de réflexions, de recherches et qu’il y avait bien longtemps que je n’avais pas sauvegardé ces documents ailleurs.  Alain Montesse (2002) soutient que notre mémoire interne se vide dans les ordinateurs… Peut-on croire que cette procédure soit sans effet sur notre propre mémoire? Je risquais un « trou de mémoire ».  Je savais déjà qu’un gouffre séparerait dorénavant l’avant et l’après.  Il m’arrive encore parfois, 13 ans après l’incendie de mon domicile, de chercher avec entêtement un document, un livre ou un objet, pour réaliser au bout du compte qu’il n’existait que dans ma mémoire d’avant l’événement.  Le soir de l’incendie de mon école, je me suis couchée très tard et je n’ai pas beaucoup dormi.  Si j’ai rêvé, ce fut sûrement d’imagine agentes[1], ces images qui frappent avec force et adhèrent ainsi à l’âme.  Je sentais que ma vie professionnelle venait de basculer.  Puis, ce fut le congé des fêtes.    La proposition La rentrée de janvier a été pour le moins chaotique.  Ma classe avait été miraculeusement épargnée, mais je dus tout de même déménager avec tous mes collègues vers une autre école.  Le mot d’ordre de la direction était d’apporter le minimum de matériel, ce que j’ai fait.  J’avais mon cher disque dur externe, ma mémoire artificielle, et ma mémoire naturelle.  Je savais que je pouvais enseigner les mains vides, convaincue que l’essentiel est en moi et dans ma relation avec mes élèves.   Je me suis installée dans un nouveau local, dans un nouvel établissement.  J’avais récupéré les ordinateurs et les caméras vidéo, et c’est ainsi qu’il fallait maintenant poursuivre l’année scolaire. Avec mon groupe de quatrième et cinquième secondaire, il était prévu qu’au retour du congé des fêtes, nous débuterions un projet de vidéo d’art.  Ma priorité était de trouver un sujet qui les interpelle.  J’avais beau chercher, mes pensées revenaient toujours aux événements du 22 décembre.  J’avais perdu mes repères, j’étais convaincue que je ne retournerais jamais dans ma belle classe (déjà améliorée par la part de subjectivité qui entre en jeu dans le travail de mémoire). Je m’ennuyais de mes deux armoires de bois remplies de trésors pour les élèves. Je m’ennuyais de mon nain de jardin sur le rebord de mon bureau.  J’avais encore mes élèves, mais notre sentiment d’appartenance et notre enthousiasme semblait bien émoussé. J’étais consciente que ma perception de cette nouvelle réalité était teintée par mon vécu antérieur d’un incendie ainsi que par mon émotivité et ma culture. Si j’avais été seule dans un atelier, mon travail aurait certainement porté, d’une façon ou d’une autre, l’empreinte de ce bouleversement. C’est donc tout naturellement que j’ai décidé de me servir de cet épisode pour ce projet de vidéo d’art avec mes élèves. J’ai choisi de travailler sur ce thème car je sentais que je n’avais pas le choix.  J’ai tout bonnement, sans le savoir, fait appel à mon théâtre de mémoire; Giulio Camillo[2] donne beaucoup de noms à son Théâtre; il dit tantôt que c'est un esprit ou une âme construite, tantôt que c'est une âme pourvue de fenêtres. Il prétend que tout ce que l'esprit humain peut concevoir et que nous ne pouvons pas voir de nos yeux corporels, on peut, après en avoir fait la synthèse au cours d'une méditation attentive, l'exprimer par certains signes matériels de telle sorte que le spectateur peut percevoir d'un seul coup d'œil tout ce qui, autrement, reste caché dans les profondeurs de l'esprit humain. Et c’est à cause de cette vision physique qu'il l'appelle un Théâtre (Yates 1975 p. 146).   Je savais que tous mes élèves n’auraient pas vécu aussi profondément cet événement mais je devinais que nous gagnerions tous à réinvestir cette expérience dans une réalisation.   Une fois mon choix arrêté, il fallait que j’amène les élèves à embarquer dans ma proposition.  Je savais qu’il ne suffit pas que je sois complètement habitée par elle pour que les élèves s’y investissent comme je le ferais moi-même.  Ma tâche était de leur transférer une sorte de sentiment d’urgence, un besoin de « faire ».  Il fallait que je les conduise à s’approprier ma proposition pour qu’elle les habite à leur tour.  Il fallait que je les conduise chacun à leur théâtre de mémoire.   Dans cette phase, je me centre sur les élèves : je pense à leurs forces, leurs limites, leurs connaissances.  Je prépare mes cours avec la visée de réduire l’écart entre les possibilités actuelles des élèves et mes aspirations, pour que la matérialisation du projet soit le plus possible en adéquation avec mes attentes.  À ce stade-ci, c’est encore « mon projet », et je tente de trouver tous les outils pour que la réalisation me satisfasse.   C’est important de le dire; même si ultérieurement je vais lâcher prise pour laisser une grande place à la créativité des élèves, à ce moment-ci je pense à présenter le projet aux élèves dans le but de me faire plaisir, à moi.  Je pense à ce que je veux qu’ils fassent. Mes attentes concernent le degré de poésie, de questionnement, de créativité et de dépassement des élèves.   Au début des projets, je les encadre donc beaucoup.  J’apporte des livres, je prépare des exercices, des visionnements, je leur fais faire des recherches, je les questionne, etc.  C’est la période où je suis directive; non pas pour imposer mes idées mais pour les emmener dans la direction que je souhaite qu’ils prennent.  Je suis  la grande locomotive, je les transporte dans la direction de mon choix.  Je choisis avec soin chaque escale.  Je les amène pas à pas vers le début de leur réalisation. Bien sûr, je ne fais pas moi-même le projet que je propose, mais je prends plaisir à créer du matériel didactique.  C’est important pour moi de demeurer en contact avec la matière.  Pour ce projet, j’ai proposé à ma stagiaire[3] de faire avec moi une banque d’effets spéciaux à la prise de vue.  Pendant que les élèves n’étaient pas en classe nous avons fait des prises de vues avec divers objets comme des contenants de verre givré, miroirs déformants, tissus, eau colorée, etc. pour montrer la diversité des effets possibles avec peu de moyens.  Nous avons ensuite montré ces différentes prises aux élèves en leur demandant de deviner avec quels objets elles avaient été faites.  Ces épisodes où je prépare du matériel didactique sont très importants pour moi.  Il est possible ainsi de garder « la main à la pâte », de « faire »  sans que ce soit nécessairement de faire le projet lui-même.   Je découvre des propriétés aux matériaux, je donne du sens à mes explorations par leurs liens avec mes projets.  

Le projet

La proposition était la suivante: Réalisation d’un court-métrage artistique inspiré des émotions reliées à l’événement du 22 décembre 2006.  Point de vue personnel par la création d’une métaphore visuelle et sonore en langage vidéo, en lien avec une émotion et un lieu[4].

Pour les amener à construire leur proposition il était primordial qu’ils comprennent bien ce qu’est une métaphore[5].  Grâce à un échange verbal avec le groupe j’ai pu constater que ce concept ne leur était pas tout à fait inconnu.  La plupart avaient vu cela dans d’autres matières. Je leur ai aussi demandé de nommer des émotions et des sentiments.  En silence et individuellement, je les ai invités à se remémorer l’émotion ou le sentiment le plus fort qu’ils pouvaient relier à cette expérience[6].  Il est ressorti que les élèves avaient ressenti de la peur et de la colère, de l’inquiétude, un sentiment d’irréalité, etc.  Je sentais qu’il y avait là des bases intéressantes pour construire un scénario, mais je n’étais pas prête à les laisser aller; je ne voulais pas de récits linéaires.  Je ne voulais pas qu’ils relatent l’incendie : je voulais les amener à se détacher de l’événement en lui-même et à se centrer sur l’émotion générée par celui-ci. Je voulais les amener à (…) « faire tomber la barrière qui sépare le présent du passé, de jeter un pont entre le monde des vivants et cet au-delà auquel retourne tout ce qui a quitté la lumière du soleil »[7]. Je les ai invités à élaborer une carte d’organisation d’idées dans leurs cahiers de traces en plaçant l’émotion choisie au centre, et en lui associant les mots qui leur passaient par la tête, sans censure.  Je voulais, à l’instar de Saint-Augustin, qu’ils aillent […]  dans les plaines, dans les grottes, dans les cavernes incalculables de (leur) mémoire, pleines à un point incalculable d'un nombre incalculable de sortes de choses, les unes présentes en tant qu'images, comme tous les corps; les autres en elles-mêmes, comme les arts; les autres au moyen de certaines notions et d'impressions, comme les sentiments de l'esprit, que la mémoire retient, même quand l'esprit ne le sent pas, bien que tout ce qui se trouve dans la mémoire se trouve également dans l'esprit — à travers toutes ces choses, (qu’ils) courrent, (qu’ils) volent, (qu’ils)  plongent ici et là, aussi profondément que  (qu’ils)  peuvent, et  (qu’ils)  ne trouvent jamais de limite (Yates 1975 p.59-60).     Ensuite, en équipes de deux ou trois (certains ont préféré travailler seuls), ils ont mis leurs réflexions en commun.  Il s’agissait d’expliquer leurs idées aux autres membres de l’équipe pour finalement choisir l’émotion qui les rejoindrait tous.  Une fois ce choix arrêté, je leur ai demandé d’associer l’émotion choisie à une métaphore et cette métaphore à un lieu.  C’est à rebours que j’ai réalisé que le concept était étrangement relié aux artes memoriae, anciens arts de la mémoire. D’après Cicéron « Les lieux sont les tablettes de cire sur lesquelles on écrit; les images sont les lettres qu'on y trace » (Yates 1975).  Dans son livre sur Anselm Kiefer, Daniel Arasse (2001) souligne la relation ancienne que ce type d’art de la mémoire a entretenu avec les arts visuels.  Elle permet de percevoir la logique qui sous-tend l’association des lieux (architecturaux) et des images qui y sont placées. Dans leur réalisation, les élèves ont associé des images fixes variées et des images mouvantes à des lieux.  Les associations semblent une sorte « d’allégorie privée » pour emprunter le terme de Daniel Arasse (2001). Ce dernier explique que l’ars memoriae est un art intérieur, à usage personnel; ses lieux comme ses images, fruit d’une fabrication intime, ont une fonction avant tout individuelle et ne sont destinées qu’à rappeler facilement à leur inventeur des arguments et des notions spécifiques.  Comme le montrent les quelques exemples donnés dans certains traités, les notions incorporées dans une image de mémoire ne le sont qu’au terme d’un bricolage personnel où l’incongruité des objets mis en relation contribue efficacement à la mémorisation.  De ce fait, le fonctionnement d’une image de mémoire ne peut être explicite que pour son auteur-utilisateur. Il me semble, avec le recul, que l’expérience nous a tous marqués.  Il me semble aussi que la proposition, dans son contexte, se prêtait remarquablement bien aux arts de la mémoire.  Selon Franc Schuerewegen, au départ, il y a un constat : de la mémoire, nous ne pouvons parler que sur un mode métaphorique ; il nous manque un langage propre ; l’image est notre unique moyen d’accès. Personne ne dit jamais : « la mémoire est X. » On nous dit toujours : « la mémoire est comme X, Y, Z... »[8].  Sans les avoir entendus auparavant, les mots de Saint-Augustin nous ont rejoints; J’arrive aux domaines et aux vastes palais de la mémoire (campos et lata praetoria memoriae) où se trouvent les trésors d'innombrables images, qu'on y a apportées en les tirant de toutes les choses perçues par les sens: y sont déposés tous les produits de notre pensée, obtenus en amplifiant ou en réduisant les perception des sens ou en les transformant d'une façon ou d'une autre; j'y trouve aussi tout ce qui y a été mis en dépôt et en réserve et qui n'a pas été encore englouti et enterré par l'oubli (Yates 1975, p.58).   Élaboration

Comme les tournages se faisaient en dehors des heures de classe, tous les lieux étaient permis, à l’intérieur ou à l’extérieur. Les traités de mémoire, les « ars memorativa » nous permettent de comprendre un peu mieux les techniques utilisées pour la formation des lieux de mémoire.  Pour Gesualdo donc, les lieux sont de trois types : — les lieux imaginaires : ce sont des lieux inventés de toutes pièces, ils n'existent que dans la mémoire de leur créateur et, par conséquent, sont sujets à l'oubli. Ils seraient, en raison de leur faible fiabilité, peu propices à la mnémotechnie ;— les lieux naturels, une forêt, une plage, des collines, ils sont soumis aux changements ;  — les lieux artificiels, constructions de l'homme, lieux solides, « en dur », ce sont les plus recommandés pour l'art mnémonique. Le mnémoniste peut en effet les revisiter à loisir, ils n'auront pas évolué entre deux visites (Montesse 2002, p.119).  Il semble que nous puissions ajouter à cette classification des lieux hybrides, entre nature et artifice : les jardins.  Pour les tournages, les lieux devaient êtres choisis en fonction de la métaphore. Les élèves ont opté pour des lieux artificiels; la piscine de Père-Marquette, l’intérieur et l’extérieur de l’école sinistrée ainsi que l’intérieur et l’extérieur de l’école d’accueil.  Dans ces lieux, des mises en scène diverses, des symboles, des images et même des imagines agentes[ii] ont donné corps à ce travail de mémoire. À ce stade-ci, toutes les équipes travaillaient encore dans leurs cahiers de traces.  Mon rôle était de répondre aux questions et de circuler d’une équipe à une autre pour m’assurer de la bonne progression de leur réflexion.  Je commençais tranquillement à lâcher prise, sentant que les élèves étaient en train de s’approprier le projet.  À ce moment, j’ai l’impression de sauter en parachute : il ne me reste qu’à souhaiter que le parachute s’ouvrira et que je pourrai profiter du paysage qui s’offre à ma vue.  Mon rôle se modifie; je souhaite avoir donné le bon élan et la bonne direction aux élèves, mais je leur laisse le volant; c’est à eux de jouer.  Toutes les petites locomotives descendent de la grande locomotive.  Ils peuvent choisir leur propre direction.  Ils sont prêts. Quand commence la réalisation proprement dite, ce sont les élèves qui sont sous les projecteurs.  Je sais que je dois leur faire confiance, car leur projet les habite.  Je suis là à titre de guide, d’experte, de soutien.  Je trouve agréable de les regarder aller.  J’aime bien aussi les aider. Je peux suggérer des choses et je le fais, mais je respecte le travail des élèves.  Je n’hésite pas à prendre la caméra pour leur montrer un mouvement ou un angle auquel ils n’auraient pas pensé, mais je ne les oblige pas à faire ce que je leur propose. Cette proposition qui m’habite toujours, je la vois prendre plusieurs formes.  Souvent des formes insoupçonnées.  Ils l’ont adapté à eux. Chaque tournage est différent.  Mon projet vit sa vie, il est sorti de moi, a transité par mes élèves et il se matérialise enfin. Au retour des tournages, commence la dernière partie de la réalisation du projet, le montage.  Mon rôle est toujours très actif à ce moment, car mon expérience me dit que les élèves risquent de se contenter de simplement mettre bout à bout les scènes tournées.  Je tiens à ce que la métaphore qu’ils ont choisie apparaisse aussi au montage.  Je dois les sensibiliser à l’aspect créatif que peut revêtir le montage vidéo.  Quand les élèves ne sont pas en classe, je visionne leurs projets et je prends des notes.  Je m’intéresse à leurs productions comme si c’était les miennes; je tiens à ce que les élèves donnent le meilleur d’eux-mêmes.  Je prépare des fiches d’observation et de suggestions.  Pour faire ces fiches, je dois m’imprégner de « leur » réalisation.  C’est comme si je devais maintenant embarquer dans chacune des petites locomotives, me mettre à la place du conducteur et faire des propositions qui vont dans leur direction. C’est un aller et retour entre ma proposition et leur réponse. Certains travaux m’impressionnent; je peux voir l’énorme progression des élèves à travers leurs réalisations.  Ces moments-là sont précieux, car j’ai la conviction que les choses essentielles pour moi, celles que j’enseigne aux élèves, ont trouvé à vivre et à prendre sens en quelqu’un d’autre et à le faire progresser.  

La fin

À la fin du projet, j’organise un visionnement de toutes les réalisations.  L’année scolaire tire à sa fin et la projection a lieu au dernier cours de l’année.  La majorité des élèves sont présents malgré une chaleur suffocante dans la classe, une journée radieuse à l’extérieur, la fin du secondaire pour plusieurs et l’appel de la nature.  Plusieurs ont invité des amis.  Ma stagiaire est aussi présente.  C’est ma récompense, la preuve qu’ils se sont investis dans le projet.  Notre projet. Quand tout est terminé pour les élèves, moi j’y réfléchis encore.  Quand je me retrouve toute seule dans ma classe et que j’évalue leurs réalisations, ou que je les prépare pour les présenter sur le site web de l’école, je revois, en pensée, les moments de la réalisation. Je crois que si je vois bien les lieux, j’entends encore mieux des bribes de discussions, je revois les visages, j’entends des commentaires.  Alors l'ordre des lieux conserve l'ordre des choses ; les images rappellent les choses elles-mêmes. Les lieux sont les tablettes de cire sur lesquelles on écrit, les images sont les lettres qu'on y trace »(Yates 1975).  Je dispose d’une sorte de film de mémoire qui me conduit à intégrer l’expérience, à m’interroger sur de grandes et de petites questions, à douter parfois mais toujours à tenter de m’améliorer.  Ces bouts de films de mémoire peuvent se coller les uns aux autres car je crois que les projets que je réalise avec mes élèves me conduisent à d’autres projets et à d’autres encore.  C’est comme une construction et à mesure que je la construis, je crois bien que je me construis moi-même (Valéry, via Gingras-Audet, 1983).  

Pour Alain Montesse, la façon dont la cité (à travers le cinéma) se montre à ses citoyens est un des moyens de maintenir la mémoire collective[iii].  Je crois que, pour les élèves qui ont réalisé les vidéos et peut-être même pour ceux qui les ont visionné, la mémoire des projets sera dorénavant indissociable de l’événement réel.

 

*Dans le texte, ce qui est en caractère gras correspond aux éléments de mon récit que je juge essentiels dans une démarche de création de situations pédagogiques.  Le lecteur est invité à se prononcer sur le récit en lui-même et/ou sur ces éléments. 

MERCI J   

 

    

[1] Les imagine agentes  sont exceptionnellement belles ou répugnantes, couronnées ou vêtues de pourpre, enlaidies ou défigurées avec du sang ou de la boue, barbouillées de peinture rouge, comiques ou ridicules : le choix de telles images tient à ce qu'elles frappent avec force et adhèrent ainsi à l'âme. Yates, F.  (1975).  L’art de la mémoire.  Paris : Gallimard.   [2] Giulio Camillo (né vers 1480) était un des plus fameux hommes de son temps même s'il a été pratiquement oublié aujourd'hui. Sa renommée repose sur son occulte théâtre de la mémoire (voir YATES, F.A., The art of Memory, 1966). D'un simple coup d'œil, le théâtre de la mémoire pouvait révéler l'entièreté du monde et les secrets de l'univers. Il s'agissait d'un espace assez grand pour contenir deux personnes, fait en bois, contenant plusieurs images et plein de petites boîtes. Il était vraisemblablement de forme semi-circulaire et on pouvait apparemment y marcher. Le concept du théâtre découlait des principes de l'art de la mémoire mais son utilisation de la mémoire avait pour but de représenter l'ordre éternel de la vérité (non pas scolastique mais néoplatonique). Le théâtre comportait sept portes qui représentaient les sept planètes. Les représentations imagées contenaient des allégories.  Thibault, G.  (2001).  Cabinet de curiosités.  En ligne : http://pages.infinit.net/cabinet/hooper.html.  Page consultée le 20 novembre 2007. [3] Comme son stage finissait avant la fin de ce projet de vidéo d’art, nous avions convenu qu’il n’y aurait pas de prise en charge complète de ce groupe mais que nous travaillerions ensemble à chaque cours.  Il y a aussi la présence d’une enseignante en art dramatique qui m’assiste un cours sur deux avec ce groupe.  À certains moments, nous étions donc 3 adultes à intervenir auprès des jeunes. [4] Contraintes : Thème : émotion/événement du 21 décembre 2006/pendant, après, maintenant Suggestions : passage, déplacement, voyage, migration et lieux. Durée : 5 minutes Personnages : 2 personnages principaux, personnages secondaires au choix. Sans dialogue ou avec dialogues réduits. Écriture synopsis, scénario et découpage technique. ÉTAPES : 1 : Choisir l’émotion  2 :Associer un lieu (intérieur ou extérieur), faire appel à la mémoire et à l’imaginaire 3 :Traduire l’émotion et le lieu en métaphore – Visuelle et sonore (langage vidéo, composition poétique, effets expérimentaux), faire appel à l’imaginaire du spectateur Création complète de la trame sonore : rythme, ambiance sonore, bruitage. Démarche artistique : cahier de trace *Ce document a été préparé par Gamine Gagnon, stagiaire. [5] Métaphore : n.f.-1265; latin d’origine grecque metaphora « transposition ». Le nouveau petit Robert 2007.  Figure de style qui consiste à établir implicitement un rapport de ressemblance entre deux réalités.  Office québécois de la langue française. http://www.granddictionnaire.com/BTML/FRA/r_Motclef/index800_1.asp Page consultée le 17 novembre 2007. [6] Saint Augustin, quant à lui, compare la mémoire à un magnifique et sompteux « palais ».  L’être qui s’y promène est tout étonné d’apprendre que c’est en lui-même qu’il se promène et qu’il porte en lui ces trésors insoupçonnés. [7] Vernant, J.-P.  (1991).  Aspects mythiques de la mémoire.  in Arasse, D.  (2001), p.110 [8] Schuerewegen, F.  (?).  Université d’Anvers/Université de Nimègue.  En ligne: http://www.texte.ca/int25.pdf  Page consultée le 24 novembre 2007.

  [ii] Dans la réalisation d’une élève, on peut voir des images hideuses comme un homme qui fait un horrible rictus, un crucifié ensanglanté. [iii] p.31

 

10/12/07

2 commentaires:

Anonyme a dit…

"Voilà j'ai enfin réussi à prendre le temps de lire ce récit de pratique. Un petit temps de mémoire qui va travailler mon palais d'image à moi! Ce récit nous fait entrer dans ta mémoire mais aussi en plein coeur de ta démarche pédagogique et c'est impressionnant d'assister à la construction (reconstruit pour nous) d'un tel projet. Dans cette reconstruction pour le blog divers champs théoriques et pratiques travaillent mais ce qui tisse la toile de fond c'est la mise en "image", en "forme" de ces palais de mémoire. Ce récit ouvre donc un nouvel espace au sein de cette expérience pratique et pédagogique, l'espace de la narration. Cet espace me semble essentiel dans ton projet de doctorat mais aussi dans ce projet de mémoire, narrer, faire synthèse, refaire l'histoire de l'histoire vécue, revivre par l'écrit des moments forts. C'est d'autant plus intéressant qu'en soulignant tes propres moments forts (en gras) on voit bien ce qui motive ce projet pour toi : l'expérience pédagogique. Moi j'aurais souligné plein d'autres choses surtout au début sur ton expérience de la mémoire "en direct" et en "déconstruction". Mais voilà chacun intègre cet espace de narration comme une case unique et personnelle de sa propre mémoire. Par exemple, je te suis dans ce que je n'ai pas vécu mais que je comprends grâce aux films de tes étudiants, grâce aux références auxquelles tu fais allusion, mais surtout grâce à ta propre narration, ta propre expérience retranscrite en mots et qui me servira d'exemple quand je penserais à l'art de la mémoire, aux imagines agentes, aux palais de mémoire ou à tout autre chose comme la construction de la mémoire collective par exemple. Moi ce que je retiens surtout c'est ce récit, cette trace documentaire qui fait acte de mémoire, mais d'autres retiendront les films des étudiants, ou l'idée même du projet. Tout ça entrant dans une même oeuvre qui est la tienne mais que nous intégrons comme nous pouvons...ou voulons selon nos propres champs et critères d'analyse. Ce que je trouve magnifique dans ta démarche doctorale c'est justement cette déconstruction tant à la conception qu'à la réception d'une projet de création.
Voilà, je t'ai fait un petit récit pratique de ma lecture de ton texte, j'espère que ça pourra t'intéresser. Moi en tout cas, je suis passionnée par ton projet et j'espère vraiment pouvoir continuer à le suivre!"

Emilie Houssa

Anonyme a dit…

Bonsoir Maryse,

je viens de lire pour la seconde fois ton blogue. Je suis à la fois intriguée et impressionnée. Je n'ai pas grand chose d'intelligent à dire. Je suis en découverte.

Mais tout d'abord, laisse moi te dire que les images que les images et la présentation des projets des élèves est magnifique et percutante.

J'ai aussi revisionné les films des élèves. J'aurais vraiment aimé voir leur cahier de trace. Peut-être parce que je connais plusieurs de ces élèves. Je me souviens qu'une fille m'avait dit que c'était le cours qu'elle avait préféré. Je crois que les jeunes ont vraiment pu s'exprimer et j'aurais été curieuse d'être témoin de leur démarche. Comment ils /elles en sont arrivés là ? (je pense entre autre à ..., celle dans l'eau). Comment as-tu réussi à les amener là?

Dans les textes, deux thèmes m'interpellent fortement et pour différentes raisons. Tout d'abord le sujet de ta recherche, car je me pose aussi la question quand au lien entre ma création, celle des élèves et ce que je commence à construire. Donc ton sujet me renvoi directement à mon quotidien et à ma recherche.
Je suis heureuse que tu partages ta démarche et la communique.
Tu as réussi à vivre réellement la création à travers l'enseignement et tu donnes envie d'en faire autant.

Évidement, comme j'y étais, je comprends le point de départ du projet vidéo. Mais ce prétexte a donné lieu à l'expression d'émotions, je crois, actuelles des jeunes. L'utilisation des lieux de l'ancienne école mêle le passé et le présent. Et là, je ne saisis pas tout.

Ensuite, le sujet de l'art mémoire. Là je suis réellement intriguée et intéressée à en savoir davantage, à comprendre davantage. Fascinant notre rapport à la mémoire machine. J'ai été sensibilisé à ce sujet à ma première année d'études lors du colloque(?) corps-machine, par Olivier Diense et autres conférenciers. Puis par d'autres personnes. Mais jamais je n'avais eu connaissance des auteurs dont tu parles. C'est très intéressant.

Comment vois-tu ton enseignement maintenant ? Tu enseignes encore, mais à l'université, et le contexte est différent, comment vis-tu ton oeuvre ?


D'ici la prochaine rencontre, je te souhaite une belle veille de Noël ! et beaucoup de joie avec les tiens. Déjà un an depuis les lutins ! Je te souhaite sincèrement beaucoup de paix et de très belles fêtes.

Catherine